HEPATITE C

Un article intéressant du Sud-Ouest du 21 septembre dernier met en lumière le sujet très peu médiatisé des contaminations post-transfusionnelles par le virus de l’hépatite C.

Espérons que cet article soit repris par les médias nationaux afin qu’enfin, l’indifférence cesse d’être la seule réponse faite aux victimes:

Lundi 21 novembre 2011 à 06h00 | Mis à jour le 21 novembre 2011 à 07h09
Par yann saint-sernin

Victimes oubliées des scandales médicaux

Alors que les scandales sanitaires se succèdent, où en est l’indemnisation des victimes d’affaires précédentes ? Enquête sur les suites de la contamination par le virus de l’hépatite C

Le 24 juillet 1992, manifestation devant le Palais de justice de Paris, lors du procès du sang contaminé

Ironie du sort, Martin (1) est ambulancier. Pour parler de sa maladie, il se cache. Ses collègues ignorent tout. L’hépatite C est toujours taboue. Les faits remontent pourtant à 1983, bientôt trente ans. Une transfusion sanguine comme tant d’autres. En 1985, on détecte le VIH dans son sang. Quelques mois plus tard, les assurances prennent les devants : 100 000 francs (15 000 euros) contre l’engagement de ne pas mener d’action en responsabilité. Une paille en comparaison des sommes allouées par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH (le FITH), mis en place quelques années plus tard et dont les prestations ont pu se monter jusqu’à 300 000 euros.

Décourager les victimes

Martin signe. Et se tait. Puis en 1993, alors que les premiers tests fiables sont opérationnels, l’hôpital Necker diagnostique une hépatite C. Martin se soigne. Souffre à cause du traitement. Et se tait toujours. « Je pensais que le document qui avait été signé m’interdisait toute démarche pour l’hépatite C. Et puis, cette maladie, on n’en parlait jamais », explique-t-il.

C’est peu dire que les pouvoirs publics n’ont pas fait de zèle pour encourager Martin et des milliers d’autres victimes de l’hépatite C à se faire indemniser. Pourtant, les spécialistes s’accordent sur un chiffre particulièrement impressionnant : près de 600 000 personnes en France seraient porteurs du virus de l’hépatite C. Dont 40 % auraient été contaminés lors d’une transfusion, selon les estimations les plus hautes des associations de victimes. Autrement dit, l’autre versant du scandale du sang contaminé pourrait avoisiner les 200 000 victimes. À titre de comparaison, le FITH, qui a indemnisé la plupart des victimes du VIH post-transfusionnel, recense 5 000 dossiers depuis sa création.

Mais pour l’hépatite C, la mise en place d’un fonds d’indemnisation pris en charge par l’État ne date que de la fin 2010. Soit plus de trente ans après les premières contaminations. A-t-on voulu gagner du temps face à l’ampleur du scandale ? Nombre d’associations de victimes le pensent. « Pendant des années, on nous a trimballés de juridiction en juridiction, à travers des procédures très longues, de huit ans en moyenne. C’est une manière de décourager les gens. C’est très choquant, on s’est fichu de la tête des victimes », lâche Me Arnaud de Lavaur, avocat de l’Association française des transfusés (AFT).

Indemnisée dans un premier temps devant les tribunaux civils, une victime de contamination post-transfusionnelle pouvait espérer jusqu’à 150 000 euros de dédommagement, selon les différentes jurisprudences. Mais en 2005, le gouvernement Villepin transfère les contentieux devant les tribunaux administratifs. Les critères changent. « Les indemnisations ont alors chuté de 40 % en moyenne », poursuit Me Philippe Cramps, spécialiste des affaires de dommages corporels.

Combien de victimes ont-elles d’ores et déjà été indemnisées ? Le ministère de la Santé n’a pas donné suite à notre interrogation. « Seulement quelques dizaines de milliers. Je reçois encore des dossiers tous les jours », déclare le docteur Dominique Courtois, président de l’Association d’aide aux victimes de dommages corporels (Aavac). L’Oniam (Office national d’indemnisation des accidents médicaux), qui encadre le fonds public d’indemnisation ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Sa provision pour 2011 avoisine les 35 millions d’euros pour l’hépatite C. En quelques mois, il aurait déjà reçu plusieurs milliers de demandes.

« Il est trop tard »

Pourquoi une mise en place si tardive ? Le rapport 2010 de la Cour des comptes illustre l’état d’esprit des pouvoirs publics : « Du fait de la réduction du délai de traitement des dossiers et d’une hausse probable du nombre de demandes, une forte augmentation du montant des indemnisations est à craindre pendant plusieurs années et un pic à 40 millions d’euros par an entre 2011 et 2013. Au regard de telles projections, le financement des indemnisations n’est pas actuellement assuré . »

À la pointe du combat des victimes du sang contaminé et toujours président d’honneur de l’Association française des hémophiles, Édmond-Luc Henri se désole : « On a créé un fonds pour le VIH, il y a eu un procès pénal, ça a calmé les esprits. Pour l’hépatite C, on en est resté à une responsabilité sans faute de l’État. L’État savait que cela coûterait cher et ça n’intéressait personne. » « Quand je faisais une télé, on me demandait de ne parler que du VIH, on m’interdisait d’aborder l’hépatite C », se souvient un militant associatif.

Dans l’ombre du VIH, victime de l’ampleur de la contamination, l’hépatite C restera l’une des catastrophes sanitaires les plus mal indemnisées. « Il n’y a eu aucune association étendard, contrairement au VIH. De plus, c’est une maladie dont les signes ne se déclarent qu’au bout de plusieurs années. Aujourd’hui, il est trop tard pour beaucoup de gens. Certains sont d’ailleurs décédés. Une de mes clientes ne savait même pas qu’elle avait été transfusée en 1978. Son dossier médical avait disparu. Je ne sais pas ce qu’elle pourra obtenir maintenant », explique Me de Lavaur.

« Quand je demandais à Bernard Kouchner la mise en place d’un fonds d’indemnisation, il me répondait que Mitterrand n’était pas d’accord », poursuit Edmond-Luc Henri.

Aujourd’hui, l’Oniam, par la voix de son directeur Erik Rance, assure indemniser « parfois mieux que les tribunaux ». Désormais, il s’appuie sur un barème. Selon Dominique Courtois, l’indemnisation moyenne se situerait de 20 000 à 30 000 euros. Plus rapide (six mois d’instruction) et simplifiée, la procédure induit pourtant des réparations qui laissent parfois aux victimes un goût amer. « Quand je vois quelqu’un qui a été contaminé et à qui l’on propose 5 000 euros, je trouve cela offensant », lâche Thomas Sannie, président de l’AFH. Dans le Béarn, Marcel Casassus réclamait 300 000 euros après une cirrhose en cours de rechute et une greffe du foie consécutives à une hépatite C post-transfusionnelle. L’Oniam proposait 85 000 euros. Décision récente du tribunal : 15 000 euros. Une somme qui pourrait être réévaluée… si son état s’aggrave.

(1) Le prénom a été changé.

(2) Sollicité, le ministère de la Santé n’a pas donné suite. Bernard Kouchner n’a pas souhaité répondre à nos questions. Quant à l’Établissement français du sang, il nous a fait savoir qu’il ne pouvait répondre dans les délais qui nous étaient impartis.